Avant que vous n’avanciez plus loin dans cette lecture, je me dois de vous prévenir : vous n’allez pas rire.
Je sais que beaucoup de mes lecteurs réguliers viennent ici pour se fendre la poire aux dépens de ces pauvres Japonais (sans cœur que vous êtes), mais ça m’arrive, parfois, d’écrire des trucs pas drôles.
Donc comme ça me tient à cœur de faire cet article et qu’il y a trop de vécu pour que ça puisse être réellement poilant, aujourd’hui on va peut-être pas se pisser dessus. Désolée pour les zygomatiques en berne. En plus, ce post sera long… Mais il est important pour moi donc je serai reconnaissante à tous ceux et celles qui pendront la peine de le lire jusqu’à la fin quand même.
Mais bon, c’est pas comme si vous aviez payé une place à 30 boules pour un spectacle de Florence Foresti, donc j’ai le droit de vous laisser sur votre faim de temps en temps.
Justement, la « faim », le thème d’aujourd’hui.
A dire vrai, ça fait déjà un an que je me tâte presque quotidiennement à l’écrire, ce foutu billet. Et si je le fais, est-ce que le je traite comme un dossier sur le Japon qui ne me concerne pas, est-ce que je le tourne en dérision sans rentrer dans les détails ou est-ce que je vous balance tout dans la gueule… ?
Au risque de le regretter et me terrer dans ma honte quelques mois après avoir balancé mon pavé dans la mare, j’ai opté pour la dernière option. Déjà parce que ce billet est important pour la compréhension de certains billets qui suivront.
Mais aussi parce qu’il semblerait que je commence à être lue par pas mal de gens immunisés au rose donc si ça pouvait servir à quelqu’un qui est concerné (et j’en connais déjà une bonne poignée qui l’est…), si je pouvais vous remuer dans vos culottes et dans vos crânes l’espace de cinq minutes, alors c’est l’occasion et je serais lâche de pas le faire.
Assumons qui nous sommes.
Je ne suis pas toujours aussi forte que mes expériences racontées jusqu’ici peuvent vous le faire croire.
Au Japon, j’ai résisté aux horaires de 80h par semaine, aux jobs de merde, aux différences de coutumes, aux typhons, aux tremblements de terre, à la menace nucléaire et tout plein d’autres choses comme l’odeur des salarymen dans le train et les moustiques (ne sous-estimez jamais les moustiques nippons).
Mais au Japon, j’ai aussi perdu une immense bataille.
Je suis devenue anorexique et boulimique vomitive.
Historique personnel
Ce serait un raccourci grotesque et erroné de dire que c’est à cause de la vie au Japon que je suis devenue malade, même si à mon humble avis, ça y a largement contribué.
Mais je pense aussi que j’ai toujours été prédisposée aux TCA (troubles du comportement alimentaires). Du moins qu’avec mon parcours, ça me pendait un peu au pif.
Pour une raison dont je ne suis pas sûre de me souvenir (sur-nutrition ? traitement médical ? tendance familiale au surpoids ? les trois ?), j’ai été obèse dès l’âge de quatre ans. Sur les photos de classe de maternelle, la grosse dondon au double menton graisseux et doigts boudinés, c’était déjà moi. Et en plus, j’avais une coupe de merde : bouclés, court devant et long derrière la tête. La rockeuse de diamant de Catherine Lara version loose ultime.
Dommage que ma mère n’ait pas été visionnaire à propos des tags Facebook, elle aurait peut-être empêché les massacres capillaires de ma grand-mère chez sa coiffeuse préférée « La Gilette » (ça ne s’invente pas).
L’ijime étant une notion malheureusement universelle, il va de soi que j’ai eu une de ces enfances où on se fait régulièrement insulter, que mon deuxième prénom était la « grosse patate pourrie » et que depuis que les crevures de mon quartier m’avaient attachée à leur vélo pour me faire courir en gueulant « sue et maigris grosse vache ! », je prenais grand soin de rester chez moi le mercredi après-midi à faire des dessins de Sailor Moon plutôt que de tenter l’aventure d’aller jouer dehors. Ça se finissait toujours mal.
Rassurez-vous, je n’étais pas une enfant martyre pour autant, je faisais des caprices de chiasse de compétition au rayon Barbie comme tout le monde.
Pardon maman, cette cuisine de Barbie était vraiment indispensable à ma survie et me paraissait à l’époque plus importante que tes fins de mois.
A 9 ans, je suis envoyée dans le sud de la France dans un établissement appelé Les Oiseaux qui soigne les enfants obèses (et enfants à problèmes, ma voisine de dortoir était maigre comme un coucou mais s’était fait poignarder par sa mère…Joyeux.). J’en ressors quelques mois plus tard avec presque dix kilos de moins ce qui est énorme pour un enfant de moins de dix ans.
Je suis restée assez mince quelques années puis à l’adolescence… la nature a fait son travail et j’ai retrouvé mon cul, mes hanches et mon bide. A à peine 12 ans, je venais déjà de passer de longues années à faire des régimes, surveiller tout ce que je mangeais, monter sur la balance chaque semaine pour marquer dans un cahier mon poids et justifier chaque prise de poids même pour 200 pauvres grammes de merde en jurant que « non », je n’avais pas triché. Peu de monde devait se rendre compte de l’ampleur du truc, mais ça régissait vraiment toute ma vie d’enfant et je subissais de nombreuses pressions de personnes dans mon entourage très certainement bienveillantes mais franchement pas pédagogues ni compréhensives…
Alors après quelques années, j’ai commencé à en avoir ras-le-cul de la dictature du régime.
D’autant que j’étais trop jeune pour comprendre que ma prise de poids était aussi due à ma croissance, plutôt qu’à une reprise de graisse et chaque prise de poids inexpliquée me mettait au bout du rouleau.
Incapable de relativiser, je prenais cela comme un échec, et au bout de quelques années, j’ai fini par tout envoyer valser.
Foutez-moi la paix avec vos régimes à la con, j’en ai ras le cul. Mes copines ne se prenaient pas la tête, elles, pour s’enfiler une demi-baguette couverte de Nutella, flinguer les paquets de smarties à la chaîne devant Le Miel et les Abeilles et dépenser tout leur argent de poche en paquets de bonbons monstrueux. Pourquoi moi je me gênerais et culpabiliserais à chaque fois puisque de toute façon les chiffres enflent quand même ?
J’ai donc fait comprendre subtilement aux adultes entourant le suivi de mon alimentation qu’il était temps qu’ils aillent tous se faire foutre car j’en avais ras la minette.
Et comme je n’avais plus de balance, plus de compte à rendre sur des chiffres et que je pouvais enfin manger sans me poser de questions, eh bien c’est ce que j’ai fais : manger.
C’est venu petit à petit, de légèrement enrobée passant à un bon surpoids, pour à la fin du collège, être de nouveau obèse.
Avec tous les complexes et le mal-être qui vont avec.
Mais psychologiquement, il m’était impossible de refaire un régime ou de le tenir. Tout de suite je repensais aux cahiers tenus, à la pesée obligatoire hebdomadaire, à ce mot culpabilisant qui sous-entendait que j’avais peut-être pris deux morceaux de pain plutôt qu’un : « tricher ».
Même plus de quinze ans plus tard, ce mot me fout les nerfs.
Dès que je me remettais au régime, j’avais de nouveau l’impression d’être épiée, de devoir rendre des comptes.
J’ai continué à grossir bien gentiment, ayant une aversion pour le sport assez monumentale (ça me rappelait immanquablement les moqueries en EPS à l’école), de plus en plus complexée et m’enfermant dans des hobbies de plus en plus sédentaires : les livres, les films, la geekerie.
Je me suis passionnée un temps pour la danse, mais trop complexée, j’ai fini par arrêter. Impression d’être la risée de tout le monde. Après tout, qu’est-ce que foutrait cette grosse barrique d’huile pataude dans un groupe de danseurs souples et gracieux.
J’ai arrêté. De toute façon j’avais envie de mourir à chaque fois qu’on me regardait, peu pratique pour danser me direz-vous.
Je ne sais plus à quel âge j’ai passé le stade symbolique des 100 kilos mais je pense que ce devait être autour des 19-20 ans.
Et même si j’avais tendance à passer mon stress et mon mal-être en grignotant, je ne pense pas que j’étais malade. Je grignotais en continue dans la journée mais ce n’était pas des crises de boulimie. Ou alors de la boulimie douce, juste de temps en temps quand j’étais déprimée mais bon, même gourmande, je ne pensais pas à la bouffe 24h/24, c’était inconscient.
Je pense qu’il est important de faire la petite différence entre la boulimie et l’obésité. Après je ne suis pas médecin, donc peut-être que des spécialistes ou d’autres personnes concernées qui tomberont sur ce billet ne seront pas d’accord avec moi.
Ce n’est que mon humble avis, l’auto-analyse de quelqu’un qui essaie de se comprendre, déterminer pourquoi on est tombé si bas pour pouvoir essayer de se relever.
Je disais donc, à l’époque, je n’étais pas une vraie boulimique.
C’est assez honteux à dire, mais j’avais une mauvaise hygiène de vie, voilà tout. J’ai mis plusieurs années avant de me l’admettre et ne plus me chercher d’excuses mais c’était le cas. Certains sont malheureusement obèses à cause d’une maladie, mais pas moi. C’était juste de ma faute.
Je restais toujours à la maison à regarder un film ou dévorer un roman, et le reste du temps, j’étais posée devant mon ordi à faire des sites et des montages à la con. Le tout en descendant coca sur coca, grignotant du chocolat, me nourrissant de pâtes et pizzas à profusion parce que han la la, les légumes c’est pas bon.
Pauvre fille.
A 20 ans, les choses se sont compliquées puisque je suis tombée malade des intestins. Pendant deux ans j’ai enchaîné les crises, où la crise la plus violente j’ai perdu 15 kilos en moins de trois semaines.
Pour calmer les crises, on me foutait donc sous cortisone qui – chaque personne ayant déjà pris cette merde le saura – a pour propriété de faire gonfler comme un ballon. Je reprenais donc à chaque fois tout ce que j’avais perdu avec bonus en quelques semaines.
Après deux ans de yoyo entre les crises et la cortisone, je dépasse les 110 kilos.
J’ai 22 ans, je sors d’un traitement de plus de trois mois à forte de dose de cortisone, j’ai le visage boursouflé à s’y méprendre avec un ballon de foot… et c’est l’année de mon échange universitaire au Japon à Osaka.
Si j’étais déjà un gros caisson en France, autant vous dire qu’au Japon, j’étais juste hors norme. Ce qui avait le don de me complexer énormément, je ne vous le cache pas.
Impossible de trouver des vêtements où je rentrais ne serait-ce qu’un bras, très souvent à l’étroit sur les sièges, détonnant complètement sur les photos de groupes au milieu de mes grignettes de copines nippones.
J’ai vécu au cours de cette année-là un nombre assez considérable de mésaventures et d’humiliations dont je vous ai déjà plus ou moins parlé dans cet article donc je ne vais pas revenir là-dessus, sauf peut-être pour vous raconter un des événements qui a provoqué mes premiers comportements à risque.
Pendant les vacances scolaires de printemps, j’ai participé à une soirée spéciale dans un bar. J’ai passé une excellente soirée, à discuter avec plein de monde, boire, rigoler, faire connaissance avec des gens, échanger avec des Japonais.
Je suis rentrée au petit matin, et l’après-midi au réveil, encore toute enchantée de ma super soirée, je me connecte sur la communauté de ce bar pour suivre les conversations sur le sujet. Je vois qu’il existe un topic parlant de la soirée d’hier et espère y retrouver des gens avec qui j’avais discuté la veille.
Mais en haut du topic, une phrase assassine.
「昨日楽しかった!クソデカイ外人がいたんだけど!こんなデブすごいわ!」
« C’était cool hier ! Mais y’avait une étrangère énorme ! Incroyable une grosse pareille ! ».
De ce commentaire, s’ensuivait une conversation peu élogieuse sur ma morphologie. Le topic servait bien plus à se foutre de ma gueule qu’à parler de la soirée en question, tout le monde s’en donnant à cœur joie. Alors qu’on avait passé la soirée à me cirer les pompes à me dire que j’étais mignonne et jolie et que j’avais de la chance d’être Française…
Evidemment, comme j’étais absolument la seule étrangère de la soirée (la salle étant relativement petite), le doute n’était pas permis sur la cible des quolibets.
Autant vous dire que ma soirée cool et enchanteresse avait tout à coup un arrière-goût amèrement dégueulasse. C’était pas la première fois qu’on se foutait de ma gueule, j’ai donné pendant des années, mais je ne sais pas pourquoi, ce jour-là ça m’a fait plus mal que les autres fois. Peut-être parce que les commentaires étaient impitoyablement méchants et moqueurs alors qu’on m’avait encensée à la japonaise toute la soirée avec le sourire.
Ma réaction fut sans appel : je n’ai rien mangé en 8 jours sauf un yaourt. J’ai bu un peu d’eau mais c’est tout.
Au bout des huit jours, mes dents étaient jaunes, mes gencives flasques et avaient perdu de leur couleur, ma bouche pâteuse et blanchâtre. Je n’avais plus de force et ai passé presque toute la semaine à dormir.
Et puis quand j’ai vu les changements dans ma bouche, que je perdais mes cheveux et que la rentrée approchait, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête ça et me remette de cette histoire minable. Je me suis donc remise à manger. Un peu.
Cette semaine chaotique de mon séjour à Osaka, personne ne le sait ou presque. Déjà parce que je savais que c’était bête de ma part, mais aussi parce qu’à l’époque, toute à mon amour démesuré, j’étais très soucieuse de l’image que je pouvais donner du Japon et n’avais pas envie d’aborder les expériences réellement négatives.
Bon depuis, j’en ai un peu rien à foutre et balance le très bon comme l’inacceptable. A l’époque je n’avais pas envie de parler des points négatifs de mon séjour car je n’y étais qu’un an et avais envie de ne garder que le meilleur.
Après ce chaotique épisode, la rentrée d’avril a eu lieu et me disant que c’était et l’occasion de me faire des amis et celle de perdre du poids, je me suis inscrite dans un club de sports de la fac. Et au Japon, les clubs sportifs universitaires ne rigolent pas du tout, c’est limite s’ils ne se préparent pas pour les jeux olympiques. Je me suis donc retrouvée, moi sédentaire confirmée depuis plus de vingt ans, avec dix heures de sport par jour avec des enragés.
Je détestais cela, j’étais la plus nulle et le capitaine devait me faire un programme spécial car j’étais la seule dondon du groupe et faisais office de véritable boulet, mais je suis restée jusqu’à la fin.
Ma « punition » pour être ce que j’étais.
Et je l’avoue aujourd’hui, jusqu’à la fin de l’année, je me suis nourris d’un seul et unique onigiri par jour, tous les jours où je n’avais rien de prévu avec des amis.
J’ai perdu 15 kilos entre avril et août 2007, où je suis rentrée en France.
Même si j’étais toujours bien au-dessus de 90 kilos, tout le monde trouvait cette transformation absolument géniale : le Japon m’avait affinée et embellie dites donc !
J’ai donc attribué à tout le monde mon sourire le plus hypocrite en disant que je m’étais mise au sport, ce qui m’avait fait fondre. Ce qui était en partie vrai, mais tout en passant sous silence que je carburais à 300-400 calories par jour maximum, les jours où je n’avais pas à sortir avec des amis.
En rentrant en France, j’ai complètement arrêté ce comportement. Je ne ressentais plus cette pression, ce besoin de maigrir à tout prix. Je n’étais pas belle et loin d’être « bonne », mais je ne me sentais plus inhumaine.
J’ai repris ma vie d’avant… maison-université, sédentarisation et malbouffe. Accompagnée d’une énorme déprime sur de longs mois pour avoir retrouvé une vie morne et solitaire en France après un an de sorties et activités en tout genre au Japon.
En un an, j’ai repris 20 kilos.
Je l’ai extrêmement mal vécu et c’est pas peu dire. Mais tomber aussi bas (ou aussi haut en poids…) m’a mis la claque dont j’avais besoin. Pour la première fois de ma vie, j’ai admis que si j’étais comme ça, c’était essentiellement de ma faute. Je n’étais pas malade, et le fait d’avoir un corps sujet au surpoids ne faisait pas tout. Je n’avais pas une bonne hygiène de vie, je ne devais mon reflet dans le miroir qu’à moi-même.
C’est dur d’arrêter de se voiler la face, vous savez.
Mais se rendre compte et admettre honnêtement ses travers est le premier pas pour s’en sortir.
En plus je comptais retourner vivre au Japon en 2010 et dans ma tête, j’étais formelle : je ne retournerais pas au Japon obèse. Plus jamais je ne voulais vivre les différentes humiliations que j’avais vécues, (et, comme raconté dans le lien plus haut, venais de revivre quelques semaines plus tôt avec ma Japonaise francophile complètement conne et sa photo de merde).
Je faisais plus de 115 kilos et j’avais un an et demi devant moi pour changer.
J’ai pris la solution de facilité et très à la mode en 2008 : le régime Dukon.
Et j’ai perdu quasi la moitié de mon poids en 11 mois.
Bon, sans cracher dans la soupe, je n’oserais pas vraiment recommander ce régime avec du recul. Déjà parce que même en surveillant, j’ai fini avec de nombreuses carences, des étourdissements réguliers (qui cinq ans après sont toujours là), et à cause des protéines j’ai fais une crise d’acide urique sur la fin et n’ai pas pu marcher pendant plusieurs semaines.
Mais j’étais mince. Pour la première fois de ma vie, j’avais un petit cul mignon qui rentrait fastoche dans du 38. Et quand on plafonne à plus de 100 kilos depuis la fin de l’adolescence, c’est pas rien.
La consécration.
Après 25 ans de complexes, je me trouvais bonne. A moi les fringues sexy et les photos en duck face !
Contrairement à la plupart des gens qui ont fait ce régime, j’ai plutôt bien géré l’après. Je me suis stabilisée à un poids pendant plusieurs mois et suis partie au Japon début 2010 avec ce nouveau corps dans lequel je me sentais bien. Je ne ressentais pas le besoin de maigrir plus, je ne me sentais plus mal dans ma peau et avais tellement envie de me maintenir à ce poids de forme que je maintenais une alimentation variée et un minimum équilibrée.
Et vu que pour la première fois de ma vie je m’étais réellement prise en main, que j’avais réussi quelque chose d’énorme en perdant plus de 45 kilos en moins d’un an et changer complètement de physique, que je faisais enfin partie de la norme et faisais mon shopping comme tout le monde, je dois avouer que jamais je n’aurais pensé qu’on m’emmerde sur mon poids et ma silhouette par la suite.
Mais ça, c’était sous estimer les Japonais.
Perte de contrôle
Lorsque je suis arrivée au Japon en janvier 2010, ça faisait déjà 5 mois que j’avais arrêté mon régime et stabilisé au même poids. Je ne souffrais pas tellement à ce moment-là des effets yoyo, ni de reprises de poids incontrôlables.
J’étais plutôt bien dans mes pompes, pensant que les mésaventures du moi obèse d’Osaka seraient loin derrière moi et que je n’aurais plus jamais à vivre d’humiliations liées à mon poids.
Mais j’avais tort.
Juste ce n’était plus du même acabit. A Osaka, on a été obligé d’arrêter un manège à cause de moi parce que mon format n’était pas conforme aux normes de sécurité et autres humiliations sans nom… mais je dois avouer qu’à part dans mon dos, comme lorsque j’ai découvert ce qu’on disait de moi sur Internet, on ne m’avait jamais fait de réflexion sur mon poids.
Les Japonais n’abordent pas franchement les problèmes visibles, ils les taisent. Donc un grand machin de 115kg, c’était trop hors normes pour se permettre de faire une quelconque réflexion. On n’aurait jamais osé.
On préférait donc plutôt me passer de la pommade à me conter combien j’étais mignonne et charmante, même si on en pensait peut-être pas moins.
C’est donc, contre toute attente, quand je suis revenue dans une taille 38 que j’ai commencé à m’en prendre plein la tête : mon cas n’était plus désespéré, donc plus tabou.
A l’école, au baito, ou avec des amis, je me prenais très régulièrement des réflexions par la gent masculine du genre « Tu manges du chocolat ? Tu ferais plutôt mieux de faire un régime, attention le ventre. », « Sonia, tu as du bide et du cul, tu devrais faire plus de sport », « Dommage que tu ne sois pas aussi mince qu’une Japonaise… Mais bon on peut rien y faire, les étrangères sont grosses c’est comme ça. » et j’en passe.
Merci pour l’estime de soi. Au Japon, les hommes ne sont pas tendres et aiment vous rappeler que vous n’avez pas le corps de Kate Moss. On se permet sans complexe des réflexions sur votre tour de taille, de fesse, sur ce que vous mangez, etc. Et ce, devant tout le monde.
Tout le monde ne se permet pas ce genre de choses évidemment, mais ça revient régulièrement.
Les filles, elles, ne font pas trop ce genre de remarques mais savent quand même vous mettre mal à l’aise avec des: « Tu finis ton assiette ? Oh non, moi je ne peux pas, je n’ai pas un si gros estomac… ».
Même si j’essaie de ne pas tout prendre au pied de la lettre, assez vite, les complexes reviennent, et avec mon IMC à 21, je me sens énorme.
Je suis à nouveau grosse dans ma tête.
Je ne pense pas à maigrir pour autant mais ressens le besoin de surveiller mon poids, pour ne surtout pas redevenir comme avant.
Je me procure donc une balance et le rituel de la pesée recommence.
Avec les différentes sorties, mon poids balance mais toujours de deux-trois kilos et je reviens toujours à mon poids de forme. Tout va plutôt bien, même si je me rends compte que malgré mes efforts, je suis généralement considérée comme toujours en surpoids ici.
En septembre 2010, je tombe amoureuse d’un Japonais rencontré pendant l’été. Je fréquente la personne quelque temps, ça se passe bien. Jusqu’à ce que l’intéressé me dise «Je t’aime bien et tu me plais… mais moi j’aime les filles maigres donc ton corps, je peux pas. Si tu maigris un peu, peut-être que ça irait mais là tu es trop grosse, ça me bloque. ».
Je me prends la réflexion comme un gros coup de massue dans la gueule. Après avoir passé un an à perdre la moitié de moi-même, je ne pensais vraiment pas rebouffer de ce genre d’excuse un jour.
Si aujourd’hui j’aurais le caractère assez fort pour suggérer à cette personne d’aller se faire sodomiser par une poutre en bois vermoulue du 50cm de diamètre, il y a trois ans j’étais encore douce et désespérée.
J’ai donc refais un régime à base de viande et poisson en force et me suis mise à courir tous les jours pour reperdre 6 kilos en un temps-record. J’arrive au poids le plus bas que j’avais jamais atteint dans ma vie d’adulte.
Je revois l’intéressé, fière de mes efforts et de mon nouveau tour de taille en moins.
Mais le verdict est sans appel : « Ça ne suffit pas… il te reste du gras sur le ventre et les cuisses et je peux pas. Je veux que quand on me voit avec ma copine, on soit envieux. Franchement, avec toi j’aurais honte de me promener dans la rue. Vu où t’en es, t’as encore bien 10-15 kilos en trop.».
Lorsque je lui fais remarquer que si je perdais encore 15 kilos, j’avoisinerais les 45 kilos pour 1m75 (et un IMC de 15…), ça ne semble pas le perturber. Oui, et alors, tu serais maigre au moins non ?
Bon. Trop c’est trop, je veux bien être un peu conne mais il ne faut pas abuser non plus. Il était bien sympa au début mais j’ai cerné le connard maintenant, je décide de ne plus le revoir.
Quelques mois plus tard, au début de l’année 2011, je rencontre un autre garçon (je ne m’en rendrai pas compte tout de suite, mais c’est le jaloux psychopathe dont je vous parlais dans le chapitre 1 de la drague). Je le rencontre via une communauté d’anciens obèses. Javoue qu’après mon Pro-ANA de l’été et les commentaires que je me prends régulièrement depuis un an par la gent masculine je suis un peu traumatisée, et j’avais besoin de parler avec d’autres Japonais(e) dans mon cas, pour savoir comment ils vivaient la chose.
Forcément avec ce garçon, je me sens complètement décomplexée puisqu’il a lui-même perdu 50 kilos, il connaît donc aussi bien que moi toutes les souffrances et difficultés liées à l’obésité et au régime à long terme.
Il se montre extrêmement compréhensif et pour la première fois je suis rassurée, je ne me sens plus grosse et je crois avoir trouvé une personne apte à m’accepter comme je suis sans me rabaisser.
Sauf que non. Car au bout de quelques semaines, je me rends compte qu’il souffre de gros troubles du comportement alimentaire, à commencer par de la boulimie.
Très régulièrement, il sort au milieu de la nuit pour acheter un immense sac de bouffe, rempli de tout et n’importe quoi, qu’il dévore en moins de dix minutes. J’avoue en rester pantoise.
Il prend rapidement du poids tandis que j’arrive à maintenir le mien tant bien que mal, ce qui ne semble pas lui plaire.
Il vit mal le fait que j’arrive à stabiliser mon poids depuis plus d’un an alors que lui enchaîne les yoyos violents. Pour reperdre le poids pris après ses crises de boulimie, il ne se nourrit que d’eau pendant des jours.
Puis il recommence.
Lorsque je me rends compte de ce qu’il fait, j’essaie de lui faire comprendre que c’est mauvais et qu’il ne pourra pas s’en sortir, qu’il faut qu’il rééquilibre son alimentation, mais évidemment il dédramatise la chose, ne m’écoute pas.
Pire, il commence à m’acheter des quantités industrielles de bouffe pour que je mange avec lui, parce qu’après tout « je suis mince maintenant, je peux me permettre ! ». Il semble ne pas vouloir grossir tout seul. Sans avaler tout ce qui passe, je commence à reprendre quelques mauvaises habitudes de grignotage la nuit et de surconsommation de junkfood caloriques quand je suis avec lui. Mon rythme est cassé.
Lorsque pour une longue liste de raisons, je décide de mettre fin à la relation, j’ai repris 7 kilos.
Et Mars 2011 n’arrange rien non plus. Je reviendrai en détail sur 2011 plus tard, mais entre le tremblement de terre, la pénurie de bouffe dans les combini qui pousse à l’achat compulsif quand on en trouve, la solitude, la peur… Je passe mes nerfs sur la nourriture seule dans mon lit.
Puis j’entre dans le monde du travail, dans l’événementiel.
Chanteuses, actrices et mannequins à la taille 32 font mon quotidien. Evidemment, il convient de bien présenter, aussi les remarques que je me prenais depuis que j’étais arrivée au Japon passent au stade supérieur.
Comparaisons régulières entre ma taille boudinée et celle filiforme des mannequins, réflexions désobligeantes, accueil le matin des collègues avec des « Sonia, tu as encore grossi ? Faut faire un régime-là ! ». Quand des clients nous offrent à manger, j’encaisse parfois du « Bon Sonia, toi, pas besoin de t’en donner, tu dois te mettre au régime non ? ».
J’ai repris du poids et déjà que je le vis mal, ces réflexions quotidiennes et cet environnement me rendent malade. Alors que j’ai encore un IMC tout à fait normal et qu’objectivement, je ne suis absolument pas grosse, je me sens de nouveau obèse. Mais pas que dans la tête cette fois, même physiquement.
Je suis prête à tout pour maigrir et avoir enfin la paix. Qu’on me laisse tranquille, qu’on arrête de m’emmerder et me faire des remarques. Que je respire.
J’enchaîne les régimes surprotéinés très stricts. Le Japon pullule de sachets étranges, compléments alimentaires et pilules en tous genre. J’essaie tout.
Si Dukan n’était déjà pas génial point de vue santé, cette fois je suis désespérée et me nourris essentiellement de blancs de poulet, de thon en boîte dégraissé et de sachets protéinés dégueulasses.
Je perds une dizaine de kilos en moins d’un mois, je suis soulagée.
Frustrée par autant de restrictions, ajouté au fait non-négligeable qu’on me laisse rarement prendre ma pause midi avant 16 ou 17h, je suis prise de fringales absolument incontrôlables.
Sans me rendre compte, j’adopte le même genre de comportement que mon ex-copain en partant parfois m’acheter des sacs de nourritures que je dévore en peu de temps. Je me sens mal après, lourde et coupable. Mais sur le moment, j’ai besoin de m’apaiser en dévorant des tonnes de bouffe.
Le début de la boulimie.
Evidemment, après m’être nourrie exclusivement de sachets protéinés pendant des semaines, la boulimie ne pardonne pas. Moi qui avais réussi à stabiliser mon poids pendant presque deux ans, cette fois-ci c’est foutu.
J’ai tout foutu en l’air et l’effet yoyo m’arrive dans la gueule comme une baffe de papa qu’on a pas vu venir. Je reprends tout ce que je viens de perdre avec bonus en peu de temps.
C’est pas grave, je l’ai déjà fait plein de fois, je peux le refaire.
Je rachète des sachets et des compléments alimentaires. Quand les fins de mois sont dures, je me contente d’un yaourt ou d’un onirigi.
Je passe de plus en plus de temps dans les supermarchés, je regarde le nombre de calories d’absolument tous les aliments.
Au-dessus de 150 kcal, je repose.
Je suis obsédée par le nombre de calories que j’ingurgite. Pas plus de 700 par jour.
Le corps s’habitue, au bout de quelque temps, on ne maigrit plus.
Bon alors 500 calories par jour, faisable, tranquille.
Mince, j’ai du mal à maigrir comme ça aussi, mais pourquoi ? Bon, alors un seul repas par jour à 300, ça devrait passer.
Le début de l’anorexie.
Je tiens deux, trois, quatre semaines maximum. Je reperds ma dizaine de kilos, puis je craque.
Et revient la boulimie incontrôlable.
Il faut que je mange, tout, n’importe quoi, maintenant. Dans des quantités industrielles, j’en ai plein la bouche, c’est limite si je peux mâcher tant je fourre tout en même temps.
Ça me détend, me soulage.
Et après je me sens mal. Lourde. Grosse. Grasse.
Je me dégoûte.
Pourquoi j’ai fais ça ?
Bon demain, j’arrête. Je remange normalement, c’est quand même pas bien difficile.
Mais le lendemain, on me retraite comme de la merde au boulot, on m’empêche de prendre ma pause midi jusqu’en fin de journée, je suis stressée, énervée, je n’ai rien mangé depuis tôt le matin… Je sens l’envie de bouffer revenir. Et je cède.
Encore une fois je regrossis. Chaque fois un peu plus.
Je continue de couper mes séances de boulimies par des séances de régimes très strictes qu’on peut franchement appeler anorexie. L’engrenage de ce cycle infernal s’est complètement refermé sur moi et je n’ai plus aucun contrôle.
Ma vie change, ma vie sociale est petit à petit influencée.
Car les invitations à manger d’amis commencent à m’angoisser. Je sais que s’ils me coupent « mon élan », si je remange normalement une fois… C’est ouvrir la boite de Pandore. Le barrage va céder, je n’arriverai plus à me retenir de manger et je me gaverai jusqu’à la nausée. Je mangerai pendant la soirée, puis rachèterai un repas en rentrant chez moi, puis ressortirai pendant la nuit acheter du sucre… et répéterai ce manège jusqu’à ce que je ne rentre plus dans aucun vêtement et sois obligée de retourner à mes yaourts dégraissés et mes sachets de poudre quelques semaines.
J’ai envie de pleurer à chaque fois qu’on me dit, « il faut absolument qu’on se fasse une bouffe ! », ça me terrorise. Car je sais que je perdrai le contrôle. Et à Tokyo, il y a beau y avoir un million de choses à faire, les gens ne vous invitent toujours que pour boire ou manger.
En été, ça fait déjà bientôt six mois que je suis entrée dans mon cycle sans fin d’anorexie-boulimie et mon corps en fait les frais. Je suis capable de prendre 7 kilos en seulement une semaine, la moindre prise de nourriture normale se paye très cher sur la balance, sur laquelle je monte environ 10 fois par jour.
A force d’enchaîner les régimes de protéines en poudre et rien d’autre, j’ai de plus en plus de problèmes de transit.
Je n’arrive plus à aller aux toilettes, j’ai mal au ventre. Il est gonflé et tout dur, on dirait que j’ai grossi alors que je ne mange qu’un repas par jour depuis des semaines.
Dépitée, je vais à la pharmacie demander des laxatifs.
Je prends une dose, me vide, me rend compte que la balance affiche un kilo de moins.
Comme j’ai perdu mon cerveau depuis longtemps, je suis contente de ce résultat.
Le début des laxatifs.
A la fin de 2011, je n’ai que mon poids en tête. Je monte sur la balance tout le temps. Au réveil, après être allée aux toilettes, après avoir déjeuné, les cheveux mouillés, les cheveux secs et j’en passe.
Les chiffres m’angoissent. Quand je ne travaille pas, il m’arrive de jeûner jusqu’au soir pour que le chiffre soit un peu plus bas quand je monte sur la balance.
Je refuse 90% des sorties avec d’autres personnes.
Je prends des laxatifs tous les soirs. Au début une simple dose, puis double parce que ça ne fait plus effet, puis plus.
Je calcule l’heure pour que ça ne me dérange pas en journée au travail. Je me réveille chaque nuit entre 2h et 4h pour me vider, je ne fais aucune nuit entière.
Je bousille mon sommeil en même temps que le reste.
Malgré mes yoyos, j’arrive à maintenir mon poids à un IMC normal, mais ça reste de plus en plus dur, et je suis de plus en plus à la limite du surpoids.
Après presque un an célibataire, je retente le jeu de l’amour avec l’Autochtone, un petit gars que je connaissais depuis quelques mois et semblait posé et sympa… mais comme d’habitude, je me plante et une fois la relation officialisé (traduction : la période de séduction terminée), il a revêtu son costume de Super Connard, comme les autres.
Si la crevure était relativement gentille à deux, en public il se plaisait à m’humilier grâce à des piques assassines devant ses amis.
Par exemple lorsque, pour faire connaissance, un de ces amis me demande si j’aime le sport, l’être « aimé » répond très élégamment : « Attend, t’as vu son corps ? Ça répondrait à ta question, vu comme elle est foutue, c’est clair qu’elle en a jamais fait de sa vie, ha ha ha ».
Élégante façon de parler de sa moitié.
Ayant compris depuis deux ans que les blagues sur le poids des femmes n’étaient pas rares au Japon, je le prends en privé pour lui souligner que c’est le seul sujet sur lequel il ferait mieux de ne pas trop me charrier car j’y suis assez susceptible.
Manifestement le message ne passe pas puisque le soir de Noël – soirée romantique par excellence au Japon… -,le rabouin a, après de nouvelles piques, insisté pour me faire monter sur la balance devant son meilleur ami pour « rigoler » et voir la différence avec le poids des Japonaises.
Gentleman.
Inutile de vous préciser que la relation n’a pas duré, et qu’après cette énième déception, j’ai renoncé à ma vie amoureuse. Le célibat est morne, mais se passe de commentaire désobligeant et c’est déjà ça.
Enfin, pas besoin d’un petit ami pour vous humilier en public.
Début 2012, je rentre dans une nouvelle entreprise après une année d’enfer dans l’événementiel. Je suis contente de repartir de zéro, où les employés ne seront peut-être pas psychopathes et où je pourrai peut-être retrouver une hygiène de vie. Car je perds petit à petit du terrain et affiche, lorsque je suis au plus bas, maintenant 10 kilos de plus que mon poids de croisière, j’oscille donc entre normalité et surpoids.
La première semaine de travail se passe bien ; à la fin de la deuxième, on organise ma soirée d’intégration (la tradition dans les entreprises japonaises).
L’angoisse des repas en société est toujours d’actualité, et je dois déjà me battre contre moi-même pour aborder cette soirée de beuverie avec confiance.
Je suis assise au milieu de la rangée puisque la soirée est en mon honneur, entourée de tous mes nouveaux collègues et mon nouveau patron. Tout le monde est plutôt sympathique.
Mais au milieu de la soirée, tout tourne mal.
Le collègue assis à côté de moi -qui a un peu abusé de la bière pression et du saké chaud- a un sacré coup dans le nez. Il m’appelle d’une voix tonitruante de mec bourré, une voix assez forte pour que tout le monde tourne la tête de notre côté et me balance devant tout le restaurant : « Hé Sonia ! Pourquoi t’es foutue comme ça. Non mais c’est vrai quoi ! T’as un beau visage, tu pourrais être mignonne, mais c’est quoi ce corps ? Pourquoi t’es grosse ? En plus tu as le visage fin, alors que tout soit gras à partir du cou, ça gâche vraiment tout ! Tout ce qui est en dessous du menton : à jeter ! C’est vraiment du gâchis, tu devrais faire un régime ! ».
…
Je repense à mon passé d’obèse, je repense aux efforts que j’ai fait pour m’en sortir, que j’avais réussi. Je pense aussi au fait qu’à cause de ce genre de commentaire que je me prends depuis deux ans -ALORS QUE J’ETAIS NORMALE BORDEL DE MERDE- que j’ai commencé à faire n’importe quoi. J’ai eu du mal à m’en rendre compte, mais c’est vrai. Depuis un an j’ai tout foutu en l’air, je suis devenue malade. Et je ne m’en sors pas, et je ne sais pas quoi faire.
Alors surtout, qu’il la ferme ce sac à merde. Car 3 grammes dans le sang qui lui font dire de la merde ou pas, il sait pas qui je suis, il sait pas ce que je vis, il sait pas qu’à cause de ces phrases, je passerai les trois prochaines semaines soit à ne rien manger, soit à m’empiffrer, mais que quoiqu’il en soit, la plaquette de laxatifs y passera pour vider ce corps au maximum, jusqu’à l’épuisement pour me punir d’être qu’une grosse vache.
Tout le monde a un petit air gêné, mais on est au Japon. Alors on sourit timidement, et surtout personne ne lui intime de se taire, on fait comme si ce que j’étais en train d’encaisser est parfaitement normal.
Le problème est qu’il ne s’arrête pas. Il continue à m’humilier devant tout le monde de sa voix pâteuse d’homme ivre.
Je finis par lui demander de s’arrêter, que j’ai bien compris le message mais que j’aimerais bien passer à autre chose maintenant. Il n’a rien à me dire sur le sujet, il ne me connaît même pas.
Mais il continue : « Pourquoi tu le reconnais pas ? Pourquoi tu fais pas un effort pour maigrir ? C’est quand même pas dur d’arrêter de manger et et de faire du sport ! T’habites pas trop loin, pourquoi tu viens en train ? Faut que tu viennes en vélo et comme ça tu maigriras et tu seras plus grosse comme ça ! Car là, un beau visage comme ça sur un corps gras, c’est dégoutant (kimochi warui dans le texte) ».
C’est trop.
Je fonds en larmes devant tout le monde, c’est incontrôlable. Je n’arrive plus à m’arrêter de pleurer. Vous savez ces gros sanglots bruyants et pathétiques qui vous déforment le visage, pas ceux dont les larmes roulent discrètement sur les joues.
Et le pire… c’est que tout le monde m’a regardé avec étonnement.
Je me fais allumer depuis 15 minutes devant tout le personnel de ma nouvelle entreprise par un homme que je ne connais pas, c’est normal. Mais que je craque, ça c’est étonnant.
Une collègue veut dédramatiser : « Il ne faut pas pleurer pour ça ! Moi aussi on me dit souvent que je devrais maigrir et que je mange trop, mais j’ai jamais pleuré ! ».
Oui mais j’en ai rien à foutre connasse que tu dises amen à tout ce que des pauvres machos au QI négatif te balancent en public. Je suis ni sourde, ni soumise, ni mis ma fierté dans ma poche. Et puis surtout, j’ai très certainement beaucoup plus de problèmes avec la bouffe depuis un an que toi en toute une vie, donc ta gueule.
Dans ma tête, je l’incendie. En vrai, je ne dis rien.
Ce n’est pas lui qui a ruiné la soirée en m’insultant, mais manifestement moi en mettant tout le monde mal à l’aise avec mes larmes.
En voyant l’effet de sa longue tirade, mon collègue est choqué et s’excuse. Il me disait ça « pour mon bien. » Il se met à genoux devant moi, le front au sol en répétant avec théâtralité qu’il est désolé, qu’il ne voulait pas me faire mal.
J’ai envie de shooter dans sa tête.
Mais je souris, et m’excuse d’avoir perdu mon sang-froid.
C’était puéril de ma part de le prendre à cœur, bien entendu.
J’attends la fin de la soirée avec impatience, désolée de ce nouveau départ professionnel.
Par la suite, le collègue en question s’est révélé plutôt sympathique (à jeun) et ne m’a plus jamais fait de commentaires sur mon poids directement. Mais lui, comme quelques autres arrivés par la suite et n’étant pas au courant de mon inoubliable soirée d’intégration, feront souvent le compte des bonbons ou autre que je mange en travaillant, comptant les papiers dans la poubelle pour me faire remarquer que j’abuse un peu trop du sucre.
Par contre, personne ne semble remarquer que je ne « mange » qu’un verre de lait à midi pendant des semaines alors que par la suite, j’ai de la bouffe plein le bureau.
Je continue mes yoyos, mes cycles destructeurs, les laxatifs que j’accompagne parfois encore en plus de thé facilitant le transit vendus en pharmacie.
Et bien sûr, je continue de grossir sur la continuité.
En mai, trop de choses s’enchaînent. Un retour en France, un mariage, trois anniversaires, des sorties pendant la golden week… Toute cette vie sociale et ces sorties m’angoissent, l’impression de ne faire que manger du soir au matin et je le vis mal. Je ne tiens plus les régimes à 400 calories, j’y arrive une semaine pour enchaîner sur un mois de boulimie.
Ça et une série de sorties inévitables, je me sens pleine, énorme, prête à exploser.
Alors un soir, après une soirée anniversaire où je me dégoûte d’en d’avoir tant dans le ventre, je franchis le pas et mets mes doigts profondément dans ma bouche.
Et je vide tout.
Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, jusqu’à ce que je me sente épuisée et tombe comme une mouche pour m’endormir d’un sommeil de plomb.
Le lendemain… je n’ai pas grossi malgré ma sortie.
Je suis soulagée et contente.
Le début de la boulimie vomitive.
Je sais que c’était bête et qu’il ne faut pas que je recommence. Mais… pour la première fois depuis un an et demi, j’ai mangé sans prendre un gramme, sans avoir à en payer le triple de ce que ça vaut, sans avoir à m’arrêter de manger des jours pour effacer cette soirée.
Je décide de me faire plaisir une fois, rien qu’une fois.
Alors je vais au supermarché, j’achète tout ce que j’ai envie de manger. Un sac entier.
Je rentre, je mange tout, et je vomis tout.
Voilà, je me suis fait « plaisir », je ne recommencerai plus.
Mensonges.
Je recommence dès le lendemain, après une énième crise de boulimie.
Puis le surlendemain. Et en moins de deux semaines, je suis passée vraie boulimique vomitive, tous les jours.
Et je suis incapable de m’arrêter, la perte de contrôle est encore plus rapide et irréversible que tous mes autres travers.
Vomir devient la parade à chaque sortie au restaurant. Je recommence à accepter de sortir avec les gens, mais rien ne reste dans le ventre.
Désolée à toi qui lis ses lignes et es sorti avec moi entre le printemps 2012 et 2013 : quand j’allais aux toilettes, c’était pas pour pisser un bol. Quand je revenais des chiottes avec le nez et les yeux qui coulent, c’était pas les allergies.
Je ne sais pas lequel est le pire, mais les vomissements ont remplacé l’anorexie. Cette fois, je gère mes crises de boulimie à coup de laxatif et de doigts dans la bouche. Evidemment, je prends bien soin de prendre les petits médicaments après m’être déjà vidée, sinon ils risqueraient de ne pas faire effet ! Ce serait ballot !
J’ai bien compris que ça ne faisait pas maigrir, mais je ressens ce besoin de tout vider, je ne supporte pas l’idée de la nourriture en moi.
A la fin de l’été 2012, je suis en dépression profonde. Ça y est, j’ai pris conscience. Je suis vraiment malade.
Et je n’arrive pas à m’en sortir.
Je me déçois. Car je pensais être quelqu’un de posé et pas trop con. Je n’ai jamais eu d’addiction spéciale, jamais fait de grosses conneries, jamais « mal tourné » si tant est qu’avoir été fan des Worlds Apart ne soit pas considéré comme de la petite délinquance.
Et il a fallu que j’arrive à 26-27 ans pour en arriver là.
Pourtant je sais… je sais que les laxatifs ne font pas maigrir, que je perds de l’eau et des selles mais en aucun cas de la graisse. Je sais que c’est dangereux, autant que vomir.
Je sais que ne pas assez manger ne fait pas maigrir, juste le corps s’habitue et fait des stocks pour la prochaine famine, et c’est pour ça que je prends 2 à 3 kg par repas normal.
Je sais tout ça.
Mais quand je monte sur la balance où qu’un aliment passe le seuil de mes lèvres, tout disparaît. Je n’ai plus aucune raison, plus aucun recul. Tout est compulsif, désespéré, incontrôlé.
Et en septembre 2012, j’en suis là.
J’ai pris quinze kilos, je ne rentre plus dans mes vêtements, je prends double à triple de dose de laxatifs tous les jours, je vomis deux à trois fois par jour en me jurant à chaque fois que c’est la dernière fois pour recommencer dès que j’avale quelque chose.
Ma vie est régie par mes vomissements. Je passe parfois jusqu’à une heure à tourner dans les rayons à la recherche de ce que je vais manger. J’ai envie de manger, d’engloutir n’importe quoi, mais une fois que je suis devant la nourriture, elle m’écoeure et je n’ai envie de rien.
Car je sais quel goût elle aura quand elle repassera par ma bouche en sens inverse, sa consistance, sa couleur, la douleur. Et parce que c’est à cause d’elle que j’en suis là.
Je choisis les aliments non plus pour le plaisir qu’ils me procurent mais en fonction de la difficulté à vomir : « non, ça, ça fait trop mal…, ça ouais, ça passe tout seul ». Je peux dépenser jusqu’à 30 à 40 euros de bouffe, je rentre, j’engloutis, je vomis.
Et après, je suis fatiguée et lasse. Je me déteste. J’ai envie de pleurer.
Je me promets encore que c’est la dernière fois, c’est quand même pas si terrible d’arrêter non ?
Mais je n’arrête pas, ça empiète ma vie de partout. Il m’arrive de le faire au travail quand je suis stressée, plusieurs fois dans la même soirée avec des amis. Je ne profite de rien, j’angoisse à chaque nouveau plat sur la table mais garde le sourire et lance les blagouzes qui détendent. Faudrait pas que je manque à ma réputation de rigolote quand même.
Chaque jour je perds un peu plus d’estime de moi-même, je suis une merde.
Si vous êtes déjà allés au Japon, vous aurez certainement remarqué qu’ici, l’eau des cuvettes des toilettes est remplie presque jusqu’au bord de la cuvette.
A se demander si ce n’est pas pour prévenir le vice qui est le mien, puisqu’à chaque fois que je fais mon affaire, le tout gicle dans l’eau pour me rebondir dessus.
Ça me rebondit sur le visage, les vêtements, les chaussures. Je dois tout nettoyer avant de ressortir avec le sourire. Marion Cotillard peut aller se rhabiller, l’Oscar de la meilleure actrice, c’est pour moi.
Je sais, c’est dégueulasse, vous n’avez pas envie de lire ça. Je ne suis pas obligée de tout vous dire dans ces moindres détails.
Mais putain si, je le suis.
Pour toi là, qui peut-être me lit et qui complexe de ton corps. Qui serait prête à tout pour maigrir et a déjà commencé à avoir des comportements dangereux comme une petite pilule par-ci par-là. Et je SAIS, pour vous avoir déjà écouté, que y’en a qui me lisent.
Je veux que tu sois dégoûtée en lisant ça, je veux que tu te dises « je ferai jamais ça pour un kilo perdu», je veux que tu te dises que les remarques des autres ne valent pas de tomber aussi bas.
Et surtout, je veux que tu te dises que ça peut arriver à n’importe qui, même toi. La perte de contrôle ne prévient pas.
Même moi qui suis généralement considérée comme une fille posée, réfléchie et mûre, j’ai chié dans la colle.
Et j’ai rien vu venir.
Donc si je décide de me mettre à poil pour raconter ça, c’est pas pour édulcorer les détails. C’est pour-si j’en ai le pouvoir- que ça serve à quelque chose comme mettre une baffe à celles qui se pourrissent la vie pour une taille de vêtement. A la longue, on peut déraper et personne n’est à l’abri.
En septembre-octobre 2012, mes dents ont jauni comme quelqu’un qui fumerait comme un pompier depuis 20 ans alors que je ne fume pas, mes gencives pissent le sang pour rien, c’est un remake de Dracula à chaque fois que je me lave les dents.
Je perds mes cheveux, certaines dents commencent à se déchausser.
Putain, c’est ça mon rêve japonais ?
J’ai la visite médicale annuelle imposée par l’entreprise. Les résultats sont envoyés directement à mon patron (le Japon et les joies d’une société patriarcale). D’ailleurs, comme j’avais peur de cette visite médicale et de la réaction du Big Boss, une semaine avant je me suis nourrie que de protéines pour perdre un maximum avant le Jour J. Sympa ce petit système d’intrusion de l’entreprise dans ta vie et les comportements à risques qui en découlent.
Evidemment, les résultats sont mauvais et on note une prise de poids considérable en un an, mon patron me demande de surveiller mon alimentation et perdre un peu de poids.
HA HA HA HA.
Cette fois, j’ai réellement envie de m’en sortir. J’essaie, mais évidemment je n’y arrive pas.
Alors je tente d’en parler à quelques amis… Pas de réaction.
Au final – désolée encore pour les personnes concernées qui lisent – le peu de personnes à qui j’en ai parlé ne m’ont jamais apporté aucun soutien.
Dans la plupart des cas, aucune réaction sur le moment, ou alors un « courage ! tu vas y arriver ! », et après, on ne m’en parle plus jamais. On ne m’a jamais demandé si j’étais toujours malade, si je m’en sortais, si ça allait. Soit j’en parle et on me répond par demi-syllabe (ou mieux, un smiley… j’adore la communication du 21ème siècle), soit je n’en parle pas et on fait comme si je n’avais jamais rien dit.
Comme si ça n’avait jamais existé. On peut dire des Japonais, les Français sont aussi très doués pour faire l’autruche quand on leur parle d’un truc qui les dérange.
Ce n’est pas un reproche, ces personnes ne sont pas médecins spécialisés dans les TCA et n’ont sûrement aucune idée de l’attitude à adopter. Qu’est-ce qu’elles auraient pu faire pour moi au juste ? Rien, certainement. Je ne peux pas leur en vouloir de ne pas savoir gérer un problème de cette envergure et fermer les yeux sur ma détresse.
Moi-même, je ne suis pas sûre que j’aurais pu être une bonne amie dans ce cas de figure, allez savoir, je ne suis pas plus médecin qu’elles.
Mais cette indifférence m’enfonce un peu plus. J’ai l’impression d’être intéressante que si je suis le moulin à blagues ou que je peux rendre service pour telle ou telle chose, mais sinon, je peux patauger dans ma merde, tant que je ne demande rien à personne, ce n’est pas bien grave.
Je me sens insignifiante, abandonnée, moche, grosse, sale.
Mais allez savoir pourquoi dans la vie, il se passe de drôle de choses.
Fin 2012, j’ai perdu ma joie de vivre, j’ai grossi, d’énièmes déceptions humaines annexes de mes problèmes de bouffe achèvent de me faire me rendre misanthrope, je suis au plus bas… et alors que je suis comme un chien abandonné sur la route, un petit bout de Corée tout migon, me ramasse et me prend sous son aile.
Quand je suis au top de l’anti-séduction, on s’intéresse à moi. Je suppose que c’est de là que vient le très exaspérant adage « C’est quand on s’y attend le moins… ».
L’animal est drôle et divertissant, je me rends compte qu’il vaut le coup d’être fréquenté lors de notre première soirée à deux, où j’ai tellement ri et me suis tellement amusée, qu’en rentrant chez moi j’ai passé la soirée à me remémorer ses conneries et sourire.
C’est qu’une fois dans mon lit, à moitié endormie, que je me suis rendue compte que j’avais mangé sans me poser de questions, oublié de passer par le combini pour acheter à manger, manger, vomir et prendre mes poisons pour me vider une deuxième fois pendant la nuit.
Première fois depuis une éternité… même pas que je m’étais retenue : je n’y avais juste pas pensé.
Comme si ça n’avait jamais existé.
Alors quand la relation s’est concrétisé un peu plus tard, j’ai préféré être honnête et dire que j’étais malade, que je voulais m’en sortir mais que ce n’étais pas évident.
Avoir quelqu’un dans ma vie ne pouvait qu’être une motivation pour reprendre une vie saine, je ne veux pas imposer ça à quelqu’un au quotidien.
Alors j’ai arrêté. Tout. Du jour au lendemain.
Bizarrement, quand je fais les choses pour quelqu’un d’autre que pour moi, je suis nettement plus forte.
C’est beau l’amour, vous direz-vous. Il suffisait qu’elle rencontre le prince charmant pour que la vie reprenne son cours, quel magnifique happy end !
Non.
On ne sort pas indemne de presque deux ans de TCA violents et quotidien comme les miens, même avec toute la volonté du monde.
Arrêter les laxatifs et les vomis a un prix.
Le mien a été d’une prise de 20 kilos supplémentaire en moins de trois mois. Tout ça pour ça : je flirtais de nouveau avec l’obésité.
Déjà parce qu’à force d’anorexie et de vomis, mon corps a largement baissé sa consommation de calories par jour. Si une femme adulte normale doit avoir une consommation de 1500 à 2000 calories par jour selon son activité, mon corps grossissait pour une consommation supérieure à 700.
Ensuite, un an et demi de grosses doses de laxatifs quotidiennes ne pardonnent pas. Impossible d’aller aux toilettes, je n’y allais qu’une fois tous les huit ou neufs jours et au prix d’immenses souffrances et ballonnements.
Là où j’ai une chance inestimable, c’est qu’on s’est beaucoup investi pour que je ne replonge pas en cherchant tous les aliments facilitant le transit, et en établissant tout mon programme alimentaire, quitte à se lever tôt pour me cuisiner des repas sains et riches en fibres à emporter au travail.
Pour que j’arrive à aller aux chiottes comme Mr et Mme tout le monde, ça a pris cinq mois.
Ensuite, comme je ne me fais pas traiter médicalement (compliqué ici, nous y reviendrons plus bas), j’essaie de trouver tous les comportements palliatifs qui m’empêcheront de faire une crise de boulimie et de vomir.
Notamment du sport, beaucoup de sport. Il paraît que c’est une forme de TCA aussi d’ailleurs… mais bon.
Au début un peu de temps en temps, car vous l’aurez compris, j’avais pas ça dans le sang. Et puis de plus en plus au fil des mois. Aujourd’hui je me lève 5 à 6 jours par semaine à 6h pour faire un peu de musculation et courir 10 kilomètres avant d’aller au travail.
1) Pour me déstresser et me sentir plus zen
2) Pour reperdre petit à petit les 25 kilos que j’ai toujours en trop.
3) Pour renforcer ma masse musculaire. Plus on a de muscle, plus le corps consomme de calories. Alors j’essaie de renverser la vapeur pour pouvoir manger des repas normaux sans grossir en augmentant un maximum mes dépenses d’énergie.
J’ai reperdu un peu, quelques petits kilos, mais c’est très lent car pour l’instant je me contente de faire du sport mais de ne pas faire de régime alimentaire précis. Je ne veux pas me refrustrer, j’ai besoin de temps. Je ne suis pas encore prête à me limiter ou à penser régime, alors je mange ce que je veux, quand je veux, juste je ne mange plus après 19- 20h pour ne pas me coucher le ventre lourd et ressentir l’envie de tout vider. Je me contente de courir pour déculpabiliser.
Je ne vomis plus quotidiennement, il m’arrive même d’avoir des périodes fastes où je ne le fais pas du tout pendant plusieurs mois. Mais je rechute parfois en cédant au stress, j’avoue.
Comparé aux trois fois par jour d’il y a un an, les erreurs occasionnelles d’aujourd’hui sont une belle victoire mais le chemin est encore très long pour que ça ne me démange pas après chaque repas copieux ou baisse de moral.
Je remange normalement sans grossir, à force de faire beaucoup de sport, j’arrive à 1800-2000 calories par jour sans exploser la balance.
Je ne me pèse plus 40 fois par jour, mais il a fallu la mettre sous clés quelques mois avant que je m’en détache.
Je n’ai pas repris un seul laxatif depuis presque un an.
J’emmerde profondément tous les connards qui me font une réflexion sur mon poids, qui en font en général sur le corps des filles (rondes ou maigres), des abrutis d’expats qui se foutent de la gueule des étrangères qui « cherchent à s’habiller comme les Japonaises alors qu’elles n’en ont pas le corps ».
Je sais, c’est personnel. Mais sachez-le, je vous exècre.
Le seul combat sur lequel je n’ai absolument pas avancé est que je n’accepte toujours pas mon reflet dans le miroir et me dégoûte toujours autant. Alors je ne me regarde plus, sinon tout l’équilibre que je tente de construire menace de s’écrouler.
Je me sens toujours sur le fil, prête à basculer d’un côté ou de l’autre. Et je me demande toujours si j’arriverai à avoir un rapport normal à la nourriture un jour. Je suis assez fataliste en me disant que non. Même si aujourd’hui ça va mieux et qu’il y a des progrès notables, il y aura toujours un risque.
J’essaie d’assumer toutes les conséquences de ce que je me suis infligée –m’inflige encore parfois-, les cheveux abîmés, les dents abîmées, la mâchoire disloquée, la fatigue, et je redoute d’autres conséquences au long terme comme mon foie que j’ai très certainement empoisonné bien comme il faut.
J’espère ne pas payer trop cher le prix de mes conneries dans quelques années.
Aujourd’hui, j’essaie de changer de mentalité. Ne plus penser en termes de poids mais en termes de santé.
Je ne cherche plus le Graal de la taille 36, mais celui de l’esprit sain dans un corps sain.
Je tente parfois aussi des séances de yoga pour canaliser mes angoisses. Vu ma souplesse de baobab, je pourrais finir à un million de vue sur Youtube tant c’est cocasse, mais ça a le mérite de me détendre.
J’ai encore du chemin à faire, et tant que je ne serai pas suivie par un vrai médecin, je continuerai de devoir me battre comme une lionne pour sortir de la toute seule.
Finalement cette partie sur moi est bien plus longue que ce que je pensais. Mais désolée, elle était nécessaire. Parce que, même si les TCA existent évidemment partout et que la France n’est pas en reste, vous n’avez aucune idée du nombre de Françaises (et autres étrangères ?) qui pètent un boulon ici à cause de la pression morale concernant leur poids.
La plupart penseront « mais non, il n’y en a pas tant que ça ! », mais n’oubliez pas à quel point j’ai été bonne comédienne longtemps.
Depuis que j’assume plus ou moins ouvertement (bon à partir d’aujourd’hui, plus qu’ouvertement) mes problèmes alimentaires, de nombreuses personnes viennent se confier à moi.
Je l’ai constaté à mes dépens, les personnes pas concernées ne réagissent pas ou peu à ce genre de problème et ne manifestent pas vraiment de soutien. On va donc naturellement rechercher des personnes souffrant des mêmes soucis pour se confier. Et depuis que je ne cherche plus à me cacher, on vient à moi.
Mais là où ça me choque, c’est quand j’apprends que des connaissances de longue dates qui avaient toujours été bien dans leur peau en France, ont commencé à prendre des laxatifs ici pour « maigrir » et ne peuvent plus s’en passer pour se « rassurer ». Des personnes qui ne sont pas du tout en surpoids.
J’en connais au moins deux.
Dire que je ne savais même pas que prendre des laxatifs était une forme de TCA et que j’ai développé ça « au hasard » sans savoir que ça se faisait… je suis loin d’être la seule en fait.
Les anorexiques et boulimiques, je ne les compte même pas. Et je sais qu’elles me lisent. Ainsi que d’autres, « juste » complexées.
Donc comme je pense être allée plus loin que la plupart d’entre vous dans les régimes boiteux et comportements à risques, ce billet est pour vous.
Pour vous montrer à quel point c’est triste, vain, misérable et juste destructeur.
Et puis surtout… que ça ne vous fera pas maigrir, hein. Au contraire.
Ça vous fera juste réduire votre espérance de vie, votre santé et votre chance de mettre au monde des petits chiards en bonne santé.
Ne croyez pas qu’on peut se nourrir d’un œuf dur par jour, se gaver de laxatifs ou qu’on peut se faire vomir quotidiennement sans aucune séquelle.
On paie toujours nos travers dans la vie. J’ai payé une partie des frais tout au long de cette année et je ne suis pas certaine d’en avoir fini.
Et franchement, je suis bien placée pour vous le dire, un tour de taille ne mérite pas une telle souffrance physique et mentale. Je le répète, la descente aux enfers ne prévient pas, et vous ne savez pas jusqu’où peut vous mener un régime boiteux.
En espérant que le message ne soit pas complètement vain et parle au moins à une ou deux personnes.
Passons cette – très – longue partie « témoignage », et passons à la partie dossier.
La société japonaise, propice au développement des TCA ?
Les fans invétérés du Japon n’aimeront pas ce titre. Mais ils n’y connaissent sûrement rien.
D’abord entendons-nous bien : le Japon N’est PAS responsable de mes comportements à risque. C’est moi, et seulement moi, qui ai perdu mon combat contre moi-même et suis tombée si bas. D’autant que j’avais des antécédents facilitant la susceptibilité. Tout le monde n’est pas aussi sensible que moi sur le sujet.
Mais l’environnement ici, pousse quand même au vice. Je reste persuadée que je n’aurais jamais été jusque-là en France.
D’abord comme vous l’aurez sûrement remarqué, ici se prendre des réflexions dans la gueule sur son poids, notamment quand on est une femme, c’est récurrent. Ou alors j’ai vraiment pas de chance, mais je doute être la seule.
Pas besoin de faire une taille 46 pour se faire tailler en pièces.
L’Occident aussi bien sûr, entretient le culte de la minceur. Même si les choses tendent à se bousculer légèrement pour montrer des silhouettes bien en chair dans certaines publicités, la majorité revient quand même à l’encensement du ventre plat.
Mais au Japon… le phénomène est poussé à son extrême, à un niveau assez malsain.
Revenons par exemple aux magazines féminins. On vous propose des pilules plus que douteuses pour perdre jusqu’à 20 kilos en un mois, mais surtout on vous vend ça :
Ici, on vous propose le plus naturellement du monde, de peser en dessous de 40 kilos. Par exemple, la demoiselle photoshopée à gauche est censée faire 37 kilos.
Oui je sais, les otakus du Japon me diront « oui, mais les Japonaises sont plus petites, donc c’est normal ».
Non, sombre abruti, ce n’est pas normal. 37 kilos c’est le poids d’un enfant de 11 ou 12 ans, pas d’une femme adulte. Les Japonaises ne font pas toutes 1m40, faut arrêter d’être con au bout d’un moment.
Je n’ai rien contre les personnes qui pèsent pas lourd (ou le contraire, on s’en fout !), mais il faut relativiser, on ne peut pas conseiller à tout le monde de faire ce poids. Ce n’est absolument pas une question d’esthétique mais une question de santé.
Ci-dessous, on vous propose de se créer un corps pour « se sentir en confiance pour porter des bikinis et faire l’amour ! », le dossier ne parle pas forcément de régime mais aussi d’épilation etc. Mais regardez le mannequin choisi…
Tout est fait pour nous conditionner à penser que ce genre de corps doit être la norme, jusqu’aux très appréciés purikura.
Lors de mon premier voyage au Japon il y a dix ans, les purikura c’était des petites photos sympas qu’on décorait avec des petits mots et des petits lapins rigolos.
Il y a quatre ans, quand je suis revenue, plus moyen d’avoir un visage normal sur un purikura : ils vous déforment les yeux pour qu’ils fassent la moitié du visage et que vous puissiez avoir de grands yeux de Roswell biches. Supayr.
Mais depuis peu, les purikura servent aussi à vous allonger et affiner les jambes pour vous faire des super photos souvenirs, dignes d’un poster Pro-ANA.
Conclusion : les purikura, c’était mieux avant.
Maintenant, on ne peut même plus se prendre en photo tranquillement sans se souvenir qu’il convient de se montrer aussi maigre que possible. Ce serait dommage de se montrer tel qu’on est quand même.Bref, même un simple purikura est devenu un reflet de plus de cette société moisie et de cette façon de penser gerbante.
Ce sont des petites choses : des pubs, des purikuras, des icônes… Mais le problème, c’est qu’à force, on tend à penser que la norme c’est ça. Et les filles arrêtent de bouffer, et les mecs se permettent d’être odieux.
On nous fait complexer sur une multitude de petites choses via des publicités et dossier divers. Ici, par exemple, on vous propose une méthode pour maigrir (parce que la version de gauche est grosse ?), parce qu’un jean est mieux porté lorsqu’il y a un écart entre les deux cuisses.
Au Japon, la minceur se calcule aux genoux cagneux et à l’os des hanches qui ressort. J’avais d’ailleurs vu dans un reportage un jour, que c’était pour ça que les lolitas avaient la cote au Japon : elles ont encore les os des hanches qui ressortent, ce critère de beauté et de minceur.
L’Indice de Masse Corporel, on peut se le foutre au derche, il ne semble pas faire partie du paysage.
Le Japon, c’est aussi la foire aux régimes à la con. Oui en France aussi, certes. Mais ici, on a quand même son pesant d’or en régimes foireux et limites niveau santé.
Les pharmacies pullulent de rayons régimes (et croyez-moi, je les connais par cœur) vendant tout et n’importe quoi. Des repas en sachet à 20 calories seulement, aux pilules capteurs de graisses qu’on ne sait pas trop ce qu’il y a dedans concrètement, aux trucs dans lesquels ont doit s’enrouler pour comprimer notre corps et perdre en taille.
Bon, ce n’est pas tant la pratique qui me dérange, il y a pire comme méthode pour perdre des centimètres. Ce qui me gêne surtout, c’est que dans cette pub, la demoiselle insiste sur le fait qu’elle veuille maigrir… alors qu’elle est déjà très maigre !
Une entreprise de régime par patch (pour réduire la faim etc.) s’est même emballée dans ses pubs au point de présenter un « résultat » tellement photoshopé qu’il n’en est même plus humain. A part une envie de vomir, ça ne m’inspire vraiment pas grand chose.
Mais qu’est-ce qui se passe dans la tête de ces marketeux ?
Je ne parle pas de ces fameux magazines dont je vous ai parlé la dernière fois, dans lesquels j’ai trouvé des dossiers minceurs où on donnait tous les conseils possibles pour arriver à arrêter de manger.
Le top conseil de ce dossier pour arrêter de manger et lutter contre la faim ?
Dormir.
Sans commentaire.
Tout est fait pour se sentir gros et mal dans sa peau. Et on vous encourage à faire n’importe quoi comme si c’était normal dans l’indifférence générale.
Au delà des régimes de merde, il y a toute une mentalité et des codes hommes femmes derrière la nourriture.
Par exemple, on m’a dit à plusieurs reprises que manger peu était une forme de « féminité ». Eh oui, pour certaines personnes ici, finir votre assiette remettrait en question votre féminité. Ah, la jeune demoiselle frêle à l’appétit d’oiseau, l’image même de la grâce de la femme !
Vous n’avez pas idée du nombre de filles/femmes ici qui laissent la une partie de leur assiette, a fortiori lorsqu’il y a des hommes à table.
D’ailleurs, ça gêne souvent ces derniers au final. On m’a dit plus d’une fois qu’il était plus agréable d’avoir à table des filles qui mangent plutôt que des filles qui font les précieuses (alors qu’elles crèvent surement la dalle…) et se retrouver à manger seul.
Ainsi, on saluera souvent le fait de manger avec appétit… mais comme ici rien n’a de logique, pour ne pas hésiter derrière à vous proposer de faire un régime ou faire attention.
Une fois – avant que je ne tombe dans mes travers- on m’a demandé de but en blanc de manger lorsque j’étais accompagnée mais que je m’abstienne et sois au régime le reste du temps. Comme ça je reste mince, mais ma compagnie reste agréable.
Ou l’art d’être une petite poupée qui mange sur commande, bien entendu.
On note aussi d’autres codes culturels. Comme le fait que la viande serait plutôt pour les hommes et le poisson pour les femmes. Rien de bien méchant mais qui font parfois naître des complexes absurdes comme celui d’aimer un steak.
Lors du lunch mensuel obligatoire avec mes collègues, je remarque parfois que certaines n’osent pas prendre un plat « masculin » soit avec beaucoup de viande. C’est seulement quand j’en commande un sans complexe (j’en ai déjà bien trop pour ajouter celui-là) que parfois une de mes collègues change d’avis pour annoncer avec un sourire gêné : « bon, alors finalement moi aussi ».
Rien de dramatique en soi, mais ce sont des petites choses que je trouve tristes.
Il faut être mince, il faut être féminine en se montrant délicate avec la nourriture, mais il faut savoir aussi enchaîner les beuveries entre amis et entre collègues, les nomikai étant un peu le pilier de la vie sociale au Japon.
Sans oublier que les Japonais sont de fins gourmets, adorent manger et qu’ici, aller manger au restaurant, ce n’est pas une fois de temps en temps comme chez nous, mais quotidien.
Ajoutez à cela une vie speed (notamment dans les grandes villes) où le travail occupe la majeure partie de la journée. On part tôt, on rentre tard, on mange sur le pouce au bureau. Tout est fait pour ne pas avoir le temps, pour se rabattre sur les plats tout préparés, la junk food, la mauvaise hygiène de vie. C’est valable dans chaque grande ville du monde, mais intensifié ici.
Combien, une fois entré dans la vie active, ne prennent plus la peine de rien cuisiner et se contentent de petits restos et bento de combini acheté sur le chemin du retour à la maison.
Je le sais, j’ai fais pareil.
C’est tellement tentant. On vous le sert tout chaud, on a la fausse impression que c’est pas cher (car on compare à la France, mais au quotidien ce n’est pas avantageux), tout est prêt, on vous donne même les couverts.
Mais vous êtes vous déjà penchés sur les étiquettes des bentos tout prêts ?
La plupart frisent les 1000 calories. Du riz, de la mayonnaise, et A CHAQUE FOIS, des aliments frits. Que ce soit des katsu, des karaage ou des tempura, il y a des éléments frits dans chaque repas préparé.
Je ris doucement quand j’entends ceux qui débarquent s’extasier sur ces repas nettement plus équilibrés qu’un Mc Do et sur la bouffe japonaise tellement saine.
Car je doute qu’ils se nourrissent exclusivement de soupe miso, de wakame et de konjac.
Peu de temps pour bien cuisiner, de la malbouffe partout déguisée en plat équilibré, des nomikai à n’en plus finir… mais on se doit de rester mince.
Tomber dans les travers des petites pilules, sachets de poudre et compléments alimentaires est un jeu d’enfant quand on essaie de combiner les deux (et beaucoup essaient).
Et quand on est pris d’une envie de se gaver, les combinis ouverts 24h/24 ainsi que la multitude de chaînes proposant bouffe et boissons à volonté sont là pour répondre à nos désirs de gavage. Tu as honte de recommencer dès le lendemain ? Pas de problèmes, des combinis y’en a tous les dix mètres, il suffit de changer et faire un roulement, personne ne saura tout ce que tu es capable d’engloutir en une soirée.
L’air de rien, être boulimique au Japon est encore plus difficile à maîtriser qu’ailleurs. Ta crise peut venir un dimanche à 2h du matin, tu trouveras toujours tout ce qu’il faut d’ouvert pour te vendre ta dose de gras et de sucre. Et comme la plupart des produits vendus sont en édition limité, on a toujours de nouvelles choses à se mettre sous la dent, à acheter en stock avant que ça ne disparaisse des rayons et j’en passe.
Toutes ces choses de la vie quotidienne qui se transforment en enfer quand on est malade.
Enfin, pour se pencher un peu plus sur le cas des étrangères expatriées au Japon, sans forcément développer des troubles du comportements alimentaires, un large pourcentage développent de gros complexes sur leur corps au bout de quelques mois.
Pourquoi ?
Bon, déjà y’a qu’à regarder dans la rue. La plupart des nanas font la moitié de nous-même. On se sent assez vite hors norme.
Et si en France on faisait son shopping sans problème, au Japon on peine à s’habiller même pour une petite taille 38 ou 40.
Des hanches un peu larges ? Adieu le beau jean. Une paire de sein au delà du bonnet B ? Va reposer cette robe tout de suite.
Tu es venue au Japon parce que tu adores la mode ? Tu adoreras surement aussi la Tour 109 dont la dizaine d’étages ne propose quasiment que des vêtements entre le 32 et un petit 38.
Pour espérer trouver un 42 ou un 44 (voire un 46 mais au delà faut quand même pas déconner), on peut toutefois se tourner vers des chaines étrangères comme H&M, mais si tu rêvais de vêtements visu ou gyaru made in Japan, arme-toi de patience pendant ton shopping, ici le public visé se doit d’être filiforme et petit.
Et tant pis pour les quelques japonaises grandes ou enrobées, elles avaient pas qu’à !
Quelques enseignes japonaises comme UNIQLO font dernièrement l’effort d’ouvrir éventail de leurs tailles pour aller jusqu’au XXXL.
Mais sur la publicité ça donne quoi ?
Deux japonaises frêles pour les tailles XS et M et une étrangère nettement en surpoids pour la taille XXXL (et pas de tailles entre ?).
Le message est d’une finesse… Je vous laisse méditer dessus.
Bref, une société qui favorise une hygiène de vie discutable mais qui cautionne en même temps les corps filiformes et les régimes en tout genre, le tout avec quelques piques supplémentaire pour toi l’étrangère qui a un format king size comparée à la norme locale.
Si tu es déjà bien ronde et complexée, outre le problème des vêtements, tu ne vivras peut-être pas forcément mal ton embonpoint ici. Comme je l’ai dit plus haut, à Osaka mon surpoids étant tellement énorme qu’il en devenait un problème, donc un tabou. Donc, on ne m’a jamais trop embêtée.
Par contre, si tu vis ici au long terme et que tes rondeurs n’atteignent pas encore le seuil du tabou, prépare-toi a encaisser si tu es susceptible sur le sujet.
(Apres tout, certains ne se formalisent pas pour si peu non plus).
Faut pas renoncer à la vie au Japon pour autant, mais savoir se blinder le mental.
Et les malades dans tout ça ?
Bon, j’ai parlé beaucoup de moi, j’ai parlé du Japon… et les malades de TCA au Japon alors ?
Je ne saurais vous faire un dossier complet (sinon on est encore la pour 50 pages) mais je peux aborder un minimum le sujet.
Il y a un an, lorsque je touchais le fond, que j’étais désespérée et que j’ai compris que mes amis ne me donneraient pas l’épaule que j’avais besoin pour pleurer ma misère, j’ai essayé de chercher des personnes dans le même cas que moi, ne serait-ce que pour me renseigner au niveau des traitements et suivis psychologiques possibles au Japon.
J’ai été effarée par ce que j’ai trouvé. Le Japon, ou l’art de me faire perdre toujours un peu plus foi en l’humanité.
Lorsque j’ai fais des recherches en français, je suis tombée sur des forums et communautés de malades et proches de malades cherchant des solutions, racontant leur parcours pour s’en sortir, ou demandant de l’aide.
Lorsque j’ai fais la même chose en japonais avec les mêmes mots clés (traduits) pour essayer de trouver des témoignages qui m’aideraient à trouver un traitement adéquat sur place, je suis tombée sur des communautés plus malsaines les unes que les autres.
Suivies par des milliers et milliers de jeunes filles, les conversations n’avaient en aucun cas pour but de s’en sortir ou de guérir.
Non, on racontait avec fierté ses exploits (tant de vomis dans la journée, moins de 200 calories depuis deux jours et j’en passe) et on S’ENCOURAGEAIT en tenant un journal, chacune se soutenant les unes les autres dans leur connerie.
Je suis passée sur mixi, un forum sur la boulimie vomitive. Aucun topic d’entraide ou de proposition de traitement. Non, à la place, des topics pour apprendre à bien vomir, la liste des aliments faciles à rendre, ceux qui font mal, et j’en passe.
Le tout, sans aucun modérateur.
Ça a touché le fond (et j’avoue en avoir pleuré tant j’étais choquée) avec un topic de photos, où chaque participante devait mettre la photo de la main avec laquelle elle se faisait vomir, afin d’y exposer en trophée la cicatrice laissée par les dents lors des vomissements.
Et chacune légendait sa photo avec le nombre d’années que ça avait pris, le nombre de vomis par jour et j’en passe. Certaines postaient leur main en disant « je n’ai commencé il n’y a que quelques mois donc ça se voit peu, mais ça va venir ! Gambaru ! »…
Les bras m’en sont tombent.
Quand bien même elles soient dans un délire d’autodestruction complètement aveugle, comment est-ce que les administrateurs peuvent laisser vivre des communautés aussi malsaines ?
Facebook est peut-être la lie d’Internet, mais il me semble pas que de telles activités resteraient ouvertes au public sans censure ni suppression de page.
Ce jour-là, j’ai explosé de colère et envoyé un mail explosif à l’équipe de mixi ou j’ai déversé toute ma haine et frustration dans un argumentaire bien senti.
Le topic de photos glauques a été effacé après cela, mais pas les communautés qui existent toujours et sont toujours actives…
Au début de l’été, quand j’ai décidé de ne pas me dégonfler et écrire cet article, pour la première fois depuis des mois, je suis allée voir si ces communautés existaient toujours.
Evidemment oui.
Parmi elles, ma « préférée ». Une communauté suivie par plus de 5200 personnes et active en toute impunité depuis 2006. Le titre de la communauté annonce la couleur (ainsi que sa photo de profil) : « Maigrir de façon malsaine»…
La description de la communauté est toute aussi éloquente (« les régimes sains c’est chiant »), mais je l’epargne aux non-japonisants pour passer directement au contenu.
Le topic le plus populaire, actif depuis 2007 s’intitule sobrement « Allez, arrêtons de manger ! ».
Le premier post écrit pour lancer le topic propose de s’arrêter de manger pour ne boire que de l’eau. Et sur des pages et des pages, on a des commentaires suivant cette invitation.
« A partir de lundi, j’arrête encore de manger, je vais faire de mon mieux (*^o^*) ». La suivante répond qu’elle aussi elle s’y met, la deuxième qu’elle ne s’autorisera que des pilules de compléments alimentaires et a boire.
Parfait. Pas besoin de vous en dire plus, c’est ça sur 450 messages.
Dans un autre topic, les membres doivent se présenter et donner leurs objectifs de régime.
Non : « 1m54, 45 kilos… Je suis enooormeee ».
Chiruko : « 1m58 pour 42 kilos. On m’a fait grossir pour soigner mon anorexie, et après être tombée en boulimie j’ai dépassé les 40 kilos. Je veux retourner a l’époque ou j’étais la plus maigre ! ».
Sur qu’a 42 kilos pour presque 1m60 elle doit friser le mètre cube.
La plupart des membres pèsent entre 45 et 30 kilos, et toutes veulent maigrir plus, a n’importe quel prix mais surtout pas celui de l’équilibre. Aucune ne dit a l’autre qu’elle n’a pas besoin de maigrir plus, je ne sais même pas si elles s’écoutent entre elles a part pour s’encourager dans leur dangereux délire.
Les communautés de boulimiques vomitives existent aussi toujours également, avec leurs topics pour apprendre a vomir et autres horreurs.
Par contre, je m’abstiens de traduire quoi que ce soit. J’ai pas envie de faire circuler malgré moi ce genre de conseils et donner l’envie à quelqu’un de tester.
Vu la mentalité générale, impossible d’essayer de parler de sa maladie avec les personnes concernées sur le net. Elles sont complètement déconnectée de la réalité, ne semblent avoir aucune envie de s’en sortir et se tirent les unes les autres vers le fond.
Le tout dans indifférence générale des administrateurs de mixi et autres forums japonais. Et certainement le silence de celles qui veulent vraiment s’en sortir.
Sur Twitter ? La même. Quelques bonnes âmes qui font la morale mais une majorité de tweets alarmants sur des régimes qui consistent tout simplement à ne plus manger du tout.
Bref, je n’ai pas besoin de vous traduire tout le web, magazines et retranscription de conversations. Je pense que vous m’avez compris et les japonisants peuvent chercher eux-mêmes.
Les TCA, ou une des nombreuses face cachée de l’iceberg Japon.
Encore une fois, pas que j’accuse en oubliant de regarder l’Occident ; l’Europe et l’Amérique sont loin d’être épargnés.
Mais à part des personnes vivant au Japon, on parle généralement de troubles du comportement alimentaire seulement en Occident, ces belles femmes asiatiques étant menues naturellement.
Même s’il est vrai que nous n’avons pas les mêmes carrures en général, le fait est que les maladies mentales liées à la nourriture se développent de plus en plus au Japon.
Dans un mémoire sur les troubles du comportement alimentaire au Japon (dont je vous laisse le lien plus bas), on apprend qu’au début des années 2000, 50% des jeunes étudiantes (entre 18 et 22 ans donc) avaient déjà fait un régime, 40% avaient déjà eu recours à des régimes à base de pilules et de boissons et que 18% avaient un IMC d’anorexiques.
Sachant qu’en dix ans, la situation n’a cessé de se détériorer. Dans le même mémoire, on apprend qu’en 1999, plus de 10% de femmes japonaise ayant un IMC normal avaient répondu prendre des laxatifs dans le but de maigrir et plus de 3% des diurétiques (et je vous le répète, ça ne fait pas maigrir…).
Et pour celles qui ont conscience d’être malade et veulent s’en sortir, qu’est-ce qui se passe ?
En Occident, nous avons des maladies mentales sur la nourriture, c’est connu, on ne s’en cache pas. On conséquence, même si je n’ai pas testé le système donc ne saurais dire s’il est efficace, on peut quand même se vanter d’avoir une palette de centres spécialisée, de médecins et psychologues dont la spécialité est les troubles alimentaires.
La journaliste Georgia Hania a fait un dossier poussé sur les TCA au Japon, et lève le voile sur l’insuffisance des médecins et les difficultés des malades cherchant a se faire soigner.
Sur 80 écoles de médecines au Japon, seulement trois professeurs spécialisés dans les troubles du comportement alimentaire.
Les listes d’attente sont longues, les établissements non spécialisés collectionnant les échecs sont nombreux, les établissements reconnus proposent des rendez-vous pour dans six mois a un an..
Peu de spécialistes, peu de docteurs juges compétents dans le domaine. Quand on a un docteur renomme et dont les méthodes ont fait leur preuve comme le Dr. Yamaoka, la liste d’attente pour un rendez-vous peut aller jusqu’a sept ans (sources dans les liens plus bas).
Les spécialistes se dédoublent et partent en déplacement dans les établissements en échec pour apporter leur aide et sont donc moins disponibles pour leurs propres patients.
Il y a quelques associations, mais peu de budget, des projets d’ouverture de nouveaux établissements mais toujours pas de spécialistes.
Si on abandonne les traitements spécialisés faute d’attente ou de suivi compétent pour faire une thérapie chez un psychologue, la séance peut aller jusqu’à 100 euros de l’heure.
Bref.
Je ne connais certainement pas toutes les solutions possibles, mais autant dire que dans la plupart des cas on se retrouve bien souvent tout seul avec ses démons.
Ce billet est déjà bien long, et ce sujet mériterait un propre mémoire pour pouvoir être abouti.
Je vous laisse donc avec une série de dossiers, d’études et d’articles de journaux sur le sujet.
Par contre, la francophonie n’étant pas tellement alerte sur le sujet, toutes les sources sont en anglais.
L’occasion pour vous de bosser un peu la langue de Shakespeare, bande de feignasses !
LIENS
PDF d’un mémoire de recherches sur l’émergence des TCA au Japon
PDF d’un dossier sur l’image du corps et les troubles du comportement alimentaire chez les adolescents Japonais
Reportage de Georgia Hanias sur l’anorexie au Japon
Blog sur les TCA au Japon
Article de journal
Article de journal
Article sur l’obésité devenue illégale au Japon
Merci d’avoir tout lu, en espérant – même si c’est surement présomptueux – qu’il aura fait réfléchir quelques personnes, et ouvert les yeux a d’autres mal dans leur peau.
L’important c’est surtout la sante, même si ça sonne barbant. J’espère non plus ne pas trouver des commentaires faisant l’apologie des rondes avec des propos virulents contre les maigres comme on en voit parfois, vous seriez passé à côté du sujet.
Ce billet n’est pas pour raconter mes malheurs mais une mise en garde, n’est pas engagé spécialement pour la cause ronde en particulier mais pour le respect du corps et des différentes silhouettes en général.
On est comme on est.
Allez, merci aux braves qui ont lu jusqu’ici et à tout vite, pour un billet beaucoup plus joyeux !